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Quelle ironie puissante dans ce dernier trait ! On se demande si après s’être moqué de la philosophie, Pascal n’a pas voulu ici se moquer des philosophes ; et on s’étonne que des critiques sérieux aient pu le prendre au sérieux. Quoi ! Pascal se déclarant abêti et écrivant les Pensées ! Il eût été si facile de comprendre ce trait final si on eût pris la peine de lire et de peser ce qui suit : « Mais pour vous montrer que cela y mène, (à l’abêtissement sans doute), c’est que cela diminuera vos passions qui sont vos grands obstacles, etc… Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami sincère, véritable. A la vérité, vous ne serez pas dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices ; mais n’en aurez-vous point d’autres ? Je vous dis que vous y gagnerez dans cette vie, et que, à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain et tant de néant de ce que vous hasardez que vous reconnaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’aurez rien donné. » X, 1[1].

C’est ainsi que Pascal prétend justifier par avance la supposition qu’il a faite, et qu’il engage son interlocuteur à faire avec lui, que le christianisme est révélé de Dieu. Et de ce procédé de discussion, nous dirons ce que nous avons. dit de son scepticisme provisoire. C’est un procédé très employé et très légitimement employé dans tous les domaines. Dans les sciences mathématiques, il arrive fréquemment qu’on suppose résolu le problème à résoudre ; on part de cette supposition pour faire la preuve par voie de vérification ; c’est une base quand on manque de

  1. Cf. Arnobe, cité par Havet (I, p. 159). Jaccques Abbadie : De la vérité de la religion chrétienne, Toulouse, 18G4, I, p. 122.