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l’esprit ; c’est-à-dire qu’il voulait plus travailler à toucher et à disposer le cœur, qu’à convaincre et à persuader l’esprit ; parce qu’il savait que les passions et les attachements vicieux qui corrompent le cœur et la volonté, sont les plus grands obstacles et les principaux empêchements que nous ayons à la foi, et que, pourvu qu’on pût lever ces obstacles, il n’était pas difficile de faire recevoir à l’esprit les lumières et les raisons qui pouvaient les convaincre[1] ». Et il justifie un tel procédé par la considération que la religion en général, bien moins encore la religion chrétienne, ne relève pas de l’ordre rationnel et ne peut pas accepter la juridiction de la raison. « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle. Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans la recherche de l’esprit. La grandeur des gens d’esprit est invisible… à tous ces grands de la chair. La grandeur de la Sagesse est invisible aux charnels et aux gens d’esprit. Ce sont trois ordres différents en genre (XVII. 1). » « Le cœur a son ordre, l’esprit a le sien… On ne prouve pas qu’on doit être aimé, en exposant d’ordre les causes de l’amour : cela serait ridicule. Jésus-Christ, saint Paul ont l’ordre de la charité, non de l’esprit ; car ils voulaient échauffer, non instruire. (VII. 19.) » Il conclut donc en disant : « Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Ils déclarent, en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient,

  1. Préf. P. R. Havet, I, lviii.