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nature inférieure ; un homme misérable, mais portant dans sa misère présente les marques visibles d’une originelle grandeur, grand encore, mais portant dans sa grandeur les signes indélébiles d’une actuelle et profonde misère. Il faut que cet homme se connaisse, pour qu’il se haïsse, s’il se considère dans sa misère, pour qu’il s’aime, s’il se considère dans sa grandeur, et pour qu’il éprouve à la fois, en considérant sa misère et sa grandeur, le besoin et le désir d’un libérateur. Voilà pourquoi Pascal lui a mis devant les yeux le portrait qu’il a tracé de la nature humaine. Ce portrait est-il fidèle ? Voilà toute la question.

Et comme méthode provisoire, rien de plus légitime et de plus habituel en philosophie qu’un procédé pareil à celui de Pascal, lequel consiste à faire table rase de toutes les notions admises, en vue d’asseoir la certitude sur une base plus ferme. La plupart des grands philosophes, les esprits les plus originaux et les plus puissants, dans une juste défiance des données traditionnelles, ont fait usage de ce procédé. Descartes l’a employé dans le « Discours sur la méthode » ; Kant l’a employé aussi dans la « Critique de la raison pure ». Qu’ont fait en réalité ces deux grands philosophes ? Table rase simplement, abstraction de toutes les données reçues et de toutes les connaissances antérieures. Ils se sont ensuite appliqués à reconstruire : le premier avec les mêmes éléments et avec le même instrument, la raison spéculative, en laquelle il a une confiance absolue ; le second avec de nouveaux éléments et avec un instrument nouveau, l’être moral, la conscience, qu’il substitue à l’être pensant dont les défaillances ne lui paraissent que trop manifestes. On peut critiquer leur méthode de