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les hommes. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature… » (XII, 1. Havet, I, p. 183). « Qu’est-ce donc que nous crie cette avidité et cette impuissance ? sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable bonheur dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace vide… Dieu seul est son véritable bien ; et depuis qu’il l’a quitté, c’est une chose étrange qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir place… » (VIII, 2. Havet I, p. 117.)[1].

Quant à la réalité objective du monde externe, pour établir que Pascal l’a admise, ne l’a pas même mise en question, il suffit de s’en référer à l’esprit général et à l’objet même des Pensées. Comment pouvait-il bien douter, pour son propre compte, de la vérité, quand il mettait tout son génie et toute son âme à persuader les autres à la rechercher et à l’embrasser ? Il est de ces choses qu’on ne peut ni contester ni prouver, parce qu’elles sont l’évidence même. Non, le doute de Pascal laisse entièrement hors de cause le monde supérieur. Même quand il observe avec sa logique implacable et son rigoureux esprit d’observation, que les grands objets de la philosophie, Dieu, la vérité, la justice, le bien suprême, le bonheur, échappent entièrement à la prise de l’homme, comme des ombres « fuyant d’une fuite éternelle », on le sent, pour lui, la réalité objective de ces grands objets n’est pas, ne peut pas être mise en doute. Il croit en Dieu, il croit à la vérité, à la justice, au bien, au bonheur, au progrès incessant, à l’idéal. Dans ce sens, il est optimiste autant et plus peut-être que pas un de ces philosophes dogmatiques qui professent que l’ordre des choses supé-

  1. Voir aussi I, 4 ; XII, 4.