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Les considérations que Pascal présente sur la propriété révèlent la même audace de pensée et découlent des mêmes principes. Comme l’autorité, la propriété a à sa source, non le droit, mais l’usurpation. « Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants ; c’est là ma place au soleil ; voilà le commencement à l’image de l’usurpation sur toute la terre.) (VI, 50.). — Donc le droit strict, la justice absolue serait l’égalité des biens. Mais qui y songe ? Partout la lutte du droit et du fait, de la justice et de la force ; et partout la victoire du fait et de la force sur le droit et la justice, et la nécessité d’admettre le fait et de se soumettre à la force. « Sans doute, l’égalité des biens est juste ; mais ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force… afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût qui est le souverain bien. » (VI, 7).

Jetons un regard en arrière, avant d’aller plus loin. De telles pensées sur tous ces divers sujets, philosophie, morale, politique, surprennent et offusquent d’abord. Mais, quand on les creuse, quand, suivant l’exemple de Pascal, on distingue le droit du fait ; quand on recherche implacablement ce qui est, dégageant entièrement sa pensée de la préoccupation de ce qui devrait être, on ne peut que souscrire à ce jugement si mesuré d’un grand critique : « En morale comme en tout, son grand esprit positif et rigoureux, si peu fait à se payer d’abstractions, le poussait à de telles vues, qui, prudemment saisies, restent peut-être plus vraies qu’on n’ose dire[1]. »

Ce n’est cependant point à ces vues, quelque vraies qu’elles soient, que Pascal s’arrête en dernière analyse.

  1. Sainte-Beuve, Port-Royal, 2e édition, III, p. 313.