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l’esprit se représente une grande bataille, bien engagée et bien conduite, ou encore un siège, un assaut ; il lui semble d’abord voir se dérouler et entendre tonner dans la plaine la lourde et grosse artillerie, dont les coups répétés et bien dirigés ouvrent dans les murs assiégés une large brèche ; puis ce majestueux appareil disparaît ; ce grand bruit de bataille cesse soudain ; l’assaut commence ; avec un impétueux élan, les bataillons légers s’élancent, montent à la brèche et emportent la place. En somme, et pour parler sans image, la démonstration rigoureuse et serrée, qui fait naître la conviction dans les esprits, sans céder jamais le pas, laisse toujours la place aux grands mouvements de l’âme, aux bouillantes invectives, aux touchants témoignages, qui gagnent le cœur et entraînent la volonté. C’est chez lui un don de nature, mais c’est aussi un effet de grand art.

Il est regrettable qu’une œuvre où se révèlent un si puissant génie et un art si consommé, soit restée à l’état d’ébauche. L’Eglise chrétienne ne sait peut-être pas exactement tout ce qu’elle a gagné à avoir les Pensées même telles qu’elles sont ; mais sûrement elle connaît bien moins encore ce qu’elle a perdu à ne les avoir que comme elles sont et non comme elles devaient être dans le dessein de leur auteur. Nul n’ignore ce que sont les Pensées et chacun peut plus ou moins supposer ce qu’elles seraient devenues, si Pascal eût conservé dix ans de plus la santé et la vie. Ce sont des fragments, des débris épars et sans ordre, des pierres taillées, la plupart très bien polies, destinées à servir à l’édification d’un monument qui n’a jamais été élevé. Pascal avait conçu son dessein d’écrire une défense systématique du christianisme vers l’an 1655. Dès lors il travailla constamment à le réaliser. Il lisait