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dapter aux conditions de la lutte présente. Le doute ne nous semble guère possible : cet apologiste est Blaise Pascal.

Pascal, en effet, est le plus moderne des apologistes, non pas dans l’ordre des temps, mais par son genre, sa méthode et ses arguments. La seule conception de son œuvre est déjà ou implique une intuition de génie. Rien de son temps ne nécessitait une telle défense du christianisme : la critique n’était pas née ; l’incrédulité marchait dans l’ombre, timide, honteuse[1] ; le christianisme avait encore tout son crédit moral et l’Église toute son autorité extérieure. Mais dans le grand mouvement d’idées qui entraînait alors les esprits, Pascal, avec une perspicacité et une justesse étonnantes, sut démêler les tendances obscures qui devaient éclater au siècle suivant. Il avait deviné la géométrie, il devina aussi l’histoire ; son génie eut quelque chose de celui d’un prophète. Il vit d’avance les deux grands siècles qui devaient suivre le sien, le xviiie et le xixe siècle, l’un avec sa philosophie humanitaire et naturaliste, l’autre avec sa science et sa politique utilitaires, l’un et l’autre animés contrôle christianisme d’une haine mortelle ; et, cherchant des armes contre d’aussi redoutables adversaires, il écrivit les Pensées. Et c’est aux conditions futures que son génie lui avait révélées d’avance qu’il adapte son œuvre, sa méthode et ses arguments. Ou plus exactement, à la hauteur où l’essor de son génie porte ce grand débat, il n’y a de place et de rôle que pour les raisons immuables, pour les éternels principes ; les arguments d’un ordre contingent no sauraient s’élever si haut : ils restent à mi-côte pour l’instant où le génie fléchit ; et le génie de Pascal ne fléchit jamais ;

  1. Havet. Introd. X.