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tale. C’est toi ?… Il est entré au cabaret ? C’est bien, va-t’en ! Retourne là-haut !

— J’ai peur.

— Ça ne fait rien…

De nouveau, je me penche à la fenêtre. Le jour est à son déclin. La rue est devenue plus profonde, plus noire : aux fenêtres des maisons, des feux jaunes apparaissent et s’étendent comme des taches graisseuses ; en face, on fait de la musique ; les cordes chantent avec une harmonieuse tristesse. Au cabaret, on chante aussi et, quand la porte s’ouvre, une voix lasse et brisée arrive jusqu’à mes oreilles ; je sais que c’est celle de Nikitouchka, un vieux mendiant borgne et barbu qui a un charbon ardent en guise d’œil droit et dont l’œil gauche est complètement fermé. La porte claque et la chanson se tait, tranchée comme par un coup de hache.

Grand’mère envie Nikitouchka :

— Il a bien de la chance, soupire-t-elle. Il sait de beaux poèmes !

Une lassitude invincible et qui vous serre le cœur émane de cette rue somnolente. Je voudrais tant entendre monter grand’mère, ou même grand-père. Quelle espèce d’homme était-ce donc que mon père ? Pourquoi ni mes oncles, ni mon aïeul ne l’ont-ils aimé, alors que grand’mère, Grigory et Eugénie ne tarissent pas d’éloges sur son compte ? Où est ma mère ?

Je pense à elle de plus en plus ; je la place au centre de toutes les histoires et des légendes que me raconte mon aïeule. Le fait que ma mère ne veut pas vivre dans sa famille l’élève encore à mes yeux.