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semblent attendre quelqu’un. Les rares passants vont sans se presser, pareils à des blattes somnolentes dans l’ombre tiède du poêle. Une chaleur accablante s’élève jusqu’à moi et je sens l’odeur insinuante et fade des pâtés à l’oignon vert et à la carotte, que je n’aime pas et qui me rend toujours mélancolique.

Je m’ennuie, je m’ennuie terriblement, j’étouffe aussi : quelque chose comme une coulée de plomb liquide et chaud emplit ma poitrine et comprime mes côtes, dans cette petite pièce dont le plafond, pareil à un couvercle de cercueil, pèse sur ma tête.

Voici l’oncle Mikhaïl : il apparaît au coin de la maison grise qui fait l’angle de la ruelle : la casquette si enfoncée sur la nuque que ses oreilles en sont écarquillées, il est chaussé de bottes poussiéreuses qui lui montent jusqu’aux genoux, et vêtu d’un veston roussâtre ; une de ses mains plonge dans la poche de son pantalon à carreaux, l’autre tiraille fiévreusement sa barbe. Je ne distingue pas son visage, mais, à son attitude, je devine qu’il va bondir et s’agripper de ses mains noires et velues à la porte de notre maison. Il faudrait descendre au plus vite, prévenir les autres, mais je ne puis me détacher de la fenêtre. Je vois l’oncle qui traverse la chaussée avec précaution, comme un chat craignant de se salir les pattes, et je l’entends qui ouvre la porte du cabaret.

À toutes jambes, je descends pour rendre compte de ce que j’ai vu :

— Qui est là ? demande grand-père d’une voix bru-