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laient, de toutes petites cornes, à peine plus grosses que des bosses, se dressaient sur leur front, et derrière eux pendaient de courtes queues tire-bouchonnées pareilles à celles des cochons de lait. Ah ! mon Dieu ! J’ai perdu la tête. Quand je suis revenue à moi, la chandelle était presque consumée, l’eau du chaudron toute froide et le linge blanchi jonchait le sol… Alors je ferme les yeux, et de la gueule du fourneau je vois s’écouler un torrent épais de créatures bigarrées et velues ; elles remplissent la buanderie exiguë, soufflent sur la chandelle et tirent leur langue rose d’un air malicieux. C’était à la fois amusant et un peu effrayant.

Grand’mère hoche la tête, garde un instant le silence et, soudain, se ranime tout entière :

— Je les ai vus à une autre occasion encore, les maudits ; c’était en hiver, par une nuit d’orage. Je traversais le ravin des Dioukof, et je passais à l’endroit où Jacob et Mikhaïl ont essayé de noyer ton père, vers la percée de l’étang ; tu te rappelles bien, je t’ai raconté l’histoire ? Eh bien, à peine m’étais-je engagée dans le sentier qui descend au fond du ravin que j’entendis des sifflements et des hurlements ! Je lève les yeux et que vois-je ? un attelage de trois chevaux noirs conduits par un énorme diable en bonnet rouge et raide comme un pieu qui se précipite sur moi ; il se tenait hors du traîneau et tirait à bras tendus sur les rênes qui étaient des chaînes de fer forgé. Il n’y avait point de route dans le ravin, et le traîneau, enveloppé d’un manteau de neige, allait tout droit à l’étang. Dans le traîneau se trouvaient également des diables qui criaient, sifflaient et agitaient