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t-elle à mi-voix. Tu ne dors pas, mon chéri ? Donne-moi un peu de la couverture…

Je me réjouis par avance de ce qui va se passer et ne puis retenir un sourire ; alors, elle s’exclame :

— Ah ! c’est ainsi que tu te moques de ta vieille grand’mère !

Prenant la couverture par un bout, elle la tire à elle avec tant de force et d’adresse que je saute en l’air et tourne plusieurs fois sur moi-même avant de retomber sur le duvet moelleux. Grand’mère éclate de rire ;

— Ah ! farceur ! Tu fais la chasse aux mouches ?

Mais parfois elle prie très longtemps, et je dors réellement quand elle se met au lit.

C’est toujours par d’interminables oraisons que s’achèvent les journées de querelles, de chagrins, de disputes. Je les écoute avec attention, car grand’mère raconte en détail au bon Dieu tout ce qui se passe dans la maison :

— Tu le sais Toi-même, mon Dieu, chacun recherche son propre avantage. Mikhaïl étant l’aîné c’est lui qui devrait rester en ville ; il serait vexant pour lui d’aller s’établir au faubourg, dans un quartier inconnu où les affaires iront on ne sait comment. Le père, lui, préfère Jacob. Est-ce bien, cela, de ne pas aimer également ses enfants ? Il est têtu, le vieux. Tu devrais bien lui faire entendre raison, ô mon Dieu !

Elle fixe ses yeux rayonnants sur les saintes images et donne un conseil à l’Éternel :

— Inspire-lui un beau rêve, Seigneur, qu’il partage équitablement son bien entre ses enfants !