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de la maison, des ombres légères glissaient sur la neige, racontant aussi sans doute quelque mystérieuse histoire.

Grigory, osseux, barbu et grand, semblable à un bon sorcier, avec de longues oreilles et ses cheveux ébouriffés, brassait sans relâche la teinture bouillante tout en me prodiguant des conseils :

— Regarde les gens bien en face ; si un chien se précipite sur toi, regarde-le aussi dans les yeux et il te laissera tranquille.

Ses lunettes pesantes ont l’air d’écraser la racine de son nez dont l’extrémité injectée d’un sang violacé évoque irrésistiblement l’image du nez de grand’mère. Avec Grigory, d’ailleurs, tout est simple, comme avec l’aïeule…

— Attends ! s’exclame-t-il tout à coup en prêtant l’oreille ; puis, fermant du pied la porte du fourneau, il sort en courant et je me précipite à sa suite.

Dans la cuisine, sur le plancher, Tziganok est couché, face au ciel ; les larges bandes de lumière venues des fenêtres lui tombent l’une sur la poitrine, l’autre sur les pieds. Son front luit étrangement, ses sourcils sont levés très haut, et les yeux bigles regardent fixement le plafond enfumé. Les lèvres noires frémissent et laissent échapper des bulles roses. Du coin de la bouche, le long des joues et du cou, jusque sur le sol, le sang, en filets noirâtres, coule et forme des flaques sous le dos du jeune homme. Ses membres sont lourdement étalés et l’on remarque que les jambes du pantalon, mouillées elles aussi, se collent aux ais. Le plancher avait été proprement lavé avec du sable et il étincelait comme