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me touchant l’épaule, mais je résistai à son injonction, car je ne voulais pas m’en aller.

— Ah ! mon Dieu ! soupira-t-elle alors, se plaignant du ciel autant que de moi.

Longtemps, elle resta là, immobile et silencieuse, la tête baissée. La fosse était comblée, et elle ne songeait toujours point à partir.

On entendait sur le sol le bruit métallique des pelles ; le vent se leva, chassant les nuages, emmenant la pluie. Grand’mère alors sembla se réveiller, elle me prit par la main et me conduisit vers une église lointaine, dont le clocher dressait sa flèche au milieu d’une multitude de croix noires.

— Pourquoi ne pleures-tu pas ? interrogea-t-elle, quand nous fûmes tous deux hors de l’enceinte. Tu devrais bien pleurer un peu.

— Je n’en ai pas envie ! répondis-je.

— Eh bien, si tu n’en as pas envie, ne pleure pas ! conclut-elle à mi-voix.

Ces réflexions me semblaient bien étonnantes ; je pleurais rarement et seulement quand on m’humiliait ; jamais la souffrance ne m’avait arraché de sanglots ; mon père se moquait de mes larmes et ma mère, quand il m’arrivait d’en verser, me criait régulièrement :

— Je te défends de pleurer !

Nous suivîmes en fiacre une rue large et très sale, bordée de maisons rouges, et je demandai à ma compagne :

— Les grenouilles pourront-elles sortir ?

— Non, elles ne pourront s’échapper maintenant. Que Dieu soit avec elles !