grand’mère d’une voix mystérieuse et pensive ; il ne criait presque plus ; il était déjà tout engourdi.
— Pourquoi abandonne-t-on ainsi les enfants ?
— Parce que la mère n’a pas de lait, ou qu’elle n’a pas de quoi les nourrir ; elle apprend que dans telle ou telle famille un enfant est né et qu’il est mort ; et elle vient apporter le sien en cachette à ces gens-là.
Après quelques minutes de silence, elle se gratta la tête, soupira et reprit en regardant au plafond :
— Tout cela vient de la pauvreté, Alexis ; il existe de telles misères qu’on ne saurait les dépeindre. Certains proclament aussi qu’une fille non mariée ne doit pas avoir d’enfants, et que c’est une honte pour elle. Grand-père voulait porter Tziganok à la police, mais je l’en ai dissuadé. Je lui ai dit : « Gardons-le, c’est Dieu qui nous l’envoie pour remplacer ceux qui sont morts. » J’ai eu dix-huit enfants ; s’ils étaient tous vivants, ils peupleraient une rue entière ; pense donc, dix-huit maisons ! On m’a mariée à quatorze ans, vois-tu, et à quinze ans, j’étais déjà mère. Mais Dieu a aimé le fruit de ma chair, et les uns après les autres, il m’a pris mes petits pour en faire des anges. Je les regrette et suis heureuse en même temps !
Assise au bord du lit, vêtue seulement de sa chemise, ses cheveux noirs éparpillés, elle était énorme et hirsute comme certaine ourse qu’un paysan avait dernièrement amenée des forêts de Sergatch et qu’il nous avait montrée dans la cour. Grand’mère fait le signe de croix sur sa poitrine blanche comme la neige, rit tout bas, et se balance :
— Il a rappelé les meilleurs et il m’a laissé les