Sous l’effet du courant d’air qui s’était établi, un châle noir pendu devant la fenêtre se gonflait comme une voile. Je me souviens alors, je ne sais pourquoi, qu’un jour mon père m’avait fait monter dans un bateau à voiles. Soudain, un coup de tonnerre avait retenti. Le père s’était mis à rire, puis, me serrant avec force entre ses genoux, il s’était écrié :
— Ce n’est rien, Alexis, n’aie pas peur…
Tout à coup, ma mère se leva lourdement, mais aussitôt elle se rassit, puis s’allongea sur le dos et ses cheveux balayèrent le sol ; son visage blanc et aveuglé par les larmes devint bleu ; les dents découvertes comme celles de mon père, elle proféra d’une voix terrifiante ces quelques mots :
— Fermez la porte ! Faites sortir Alexis !…
Ma grand’mère me repoussa, se précipita vers l’ouverture et s’exclama :
— N’ayez pas peur, bonnes gens, laissez-nous ; allez-vous-en, au nom du Christ ! Ce n’est pas le choléra ; elle va accoucher ; de grâce, bonnes gens !
Caché derrière une malle, dans un recoin obscur, je regardai ma mère se tordre sur le sol, gémissante et grinçant des dents, cependant que grand’mère, agenouillée près d’elle, psalmodiait d’une voix caressante et joyeuse :
— Au nom du Père et du Fils… Prends courage, Varioucha… Sainte Mère de Dieu ! Priez pour nous…
J’avais peur ; les deux femmes se traînaient sur le plancher avec des plaintes et des soupirs ; parfois elles effleuraient le corps immobile et glacé de mon père dont la bouche entr’ouverte avait l’air de ricaner. Longtemps elles restèrent ainsi ; à plusieurs reprises