Devenue presque muette, elle ne prononçait que rarement un mot et d’une voix fiévreuse ; pendant des journées entières, elle restait silencieuse couchée dans le coin où elle se mourait. Elle se mourait, je le sentais, je le savais. Grand-père lui-même parlait trop souvent de la mort, il revenait sans cesse sur ce sujet, surtout le soir lorsque la cour s’assombrissait et qu’une grasse odeur de pourriture, tiède comme une toison de mouton, nous arrivait par la fenêtre.
Le lit de mon aïeul était placé dans un coin presque sous les images saintes ; il se couchait, la tête tournée vers elles et vers la fenêtre, et longtemps bougonnait dans l’obscurité :
— Voilà le temps de mourir qui est venu… Quelle attitude aurons-nous quand nous serons devant Dieu ?… Que Lui dirons-nous ? Voilà, durant toute la vie, on s’est démené, on a fait ceci, on a fait cela… Et où cela vous a-t-il mené ?
Je dormais sur le plancher, entre le poêle et la fenêtre. J’étais à l’étroit et, pour être plus à l’aise, je glissais les pieds sous le poêle où les blattes en passant me chatouillaient. J’éprouvais d’ailleurs dans ce réduit quelques petites satisfactions malicieuses. En cuisinant, grand-père cassait à chaque instant les vitres avec la pointe ou le bout du tisonnier. Je trouvais bizarre et amusant que mon aïeul, si intelligent d’ordinaire, n’eût pas l’idée de couper l’extrémité de cet ustensile.
Certain jour entre autres qu’il faisait cuire je ne sais quoi dans un pot menaçant de déborder, il manœuvra le tisonnier avec une telle force qu’il