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voilà, je n’ai pas assez d’argent pour vous entretenir tous…

Assise sur le lit, dans un coin, ma mère soupira d’un ton rauque :

— Il n’a pas besoin de grand’chose…

— Il n’a pas besoin de grand’chose, ni l’autre non plus, et pourtant cela finit par faire beaucoup…

Il eut un geste découragé et, s’adressant à moi :

— Il faut tenir Nicolas dehors, sur le sable, au soleil…

J’allai chercher un sac propre et sec, j’en fis un tas près de la fenêtre, à l’endroit le plus ensoleillé de la cour et j’y enterrai mon frère jusqu’au cou, selon les indications de grand-père. L’enfant aimait beaucoup rester ainsi dans le sable ; il plissait les paupières d’un air satisfait, me dévisageant de ses yeux rayonnants et extraordinaires, qui n’avaient point de sclérotique mais seulement des prunelles bleues entourées d’un anneau lumineux.

J’éprouvai tout de suite une profonde affection pour mon frère. Il me semblait qu’il comprenait toutes les choses auxquelles je pensais quand nous étions couchés côte à côte sous la fenêtre d’où nous venait la voix de grand-père :

— Mourir, ce n’est pas bien malin ; il vaut mieux que tu saches vivre…

Ma mère a un accès de toux prolongé.

Le bébé dégage ses bras et les tend vers moi en hochant sa petite tête blanche ; il n’a que quelques rares cheveux qui semblent gris et sa physionomie est vieillotte, réfléchie.

Quand une poule ou un chat s’approche de nous,