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— … On lui demande : « Qui est-ce qui a mis le feu ? — C’est moi ! qu’elle dit. — Comment cela peut-il se faire, nigaude, tu n’étais pas à la maison cette nuit-là, tu étais à l’hôpital ! — C’est moi qui ai mis le feu ! » dit-elle encore. Pourquoi soutenait-elle cela ? Ah ! Que Dieu me préserve de l’insomnie !… Oukh !

Il savait l’histoire de presque tous les faubouriens qu’il avait enterrés dans le sable de ce cimetière nu et désolé. On aurait dit qu’il nous ouvrait la porte des maisons et que nous pénétrions à sa suite dans l’intimité des gens pour voir comment ils vivaient. Nous sentions que ses récits alors avaient quelque chose de sincère, de grave. Il aurait pu parler toute la nuit jusqu’à l’aurore, je crois, mais dès que la petite fenêtre de la loge se ternissait avec le crépuscule, Tchourka se levait :

— Je rentre pour que maman n’ait pas peur. Qui vient avec moi ?

Tout le monde s’en allait ; Jaze nous accompagnait jusqu’au mur d’enceinte ; derrière nous il fermait le portail, et appuyant contre la grille son visage noir et osseux, nous disait adieu d’une voix sourde.

Nous lui répondions, et une angoisse nous serrait le cœur de le laisser ainsi au cimetière ; un jour, Kostroma, regardant en arrière, formula notre pensée intime :

— Voilà, nous nous réveillerons demain, et lui sera mort !

— C’est Jaze qui est le plus malheureux de nous tous ! affirmait souvent Tchourka ; et chaque fois, Viakhir rétorquait :

— Nous ne vivons pas mal du tout !