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leçons. Oui. Il le faut. Oui. Mais, sois sage. Oui ! Sois sage !

À peine mes affaires se furent-elles arrangées à l’école, qu’une vilaine histoire m’arriva à la maison : je volai un rouble à ma mère. Ce crime n’avait pas été prémédité : un soir, ma mère, devant sortir, m’avait confié le soin de garder la maison et l’enfant. Comme je m’ennuyais, j’ouvris un des livres de mon beau-père, les Mémoires d’un médecin, de Dumas père, et j’aperçus entre les pages un billet d’un rouble et un autre de cinq. Le livre étant écrit en une langue que je ne connaissais pas, je le refermai en faisant cette réflexion qu’avec un rouble on pouvait s’acheter non seulement l’Histoire sainte, mais probablement aussi Robinson. J’avais appris peu de temps auparavant l’existence de cet ouvrage. C’était au cours d’une récréation, un jour qu’il gelait ; j’avais raconté une légende à mes camarades et l’un d’eux avait déclaré d’un ton méprisant :

— Quelles bêtises que ces contes de fée ; parle-moi de Robinson ! Voilà une histoire qui vaut la peine d’être lue.

Il se trouva que quelques autres garçonnets connaissaient ce livre et qu’ils en étaient tous enchantés. Très vexé de ce que le conte de grand’mère n’eût pas obtenu le succès que j’en escomptais, je résolus séance tenante de lire ce Robinson, afin de pouvoir déclarer à mon tour que ce n’était qu’une bêtise.

Le lendemain, j’apportai à l’école l’Histoire sainte, les contes d’Andersen en deux petits volumes tout en lambeaux, plus trois livres de pain blanc et une livre de saucisson. Dans la sombre et minuscule