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de nouvelles, beaucoup trop grandes, qui juraient avec le reste.

— Pourquoi demeurons-nous ici ? demandai-je.

Ma mère me répondit :

— Ah ! tais-toi, hein !

Elle me parlait peu et seulement pour me donner des ordres :

— Donne, apporte, va chercher…

On ne m’accordait pas souvent l’autorisation d’aller jouer au dehors. Chaque fois, d’ailleurs, je rentrais roué de coups par les gamins. La bataille était mon seul plaisir, ma distraction préférée et je m’y livrais de tout mon cœur. Ma mère, après ces équipées, me fouettait avec une courroie. Mais le châtiment ne faisait que m’exciter davantage ; dès que l’occasion se présentait, je me battais avec plus de frénésie encore que la veille et ma mère, comme de juste, me punissait aussi plus sévèrement.

Pourtant je me lassai de ses corrections ; je la prévins que, si elle ne cessait pas de me fouetter, je lui mordrais la main pour me sauver ensuite dans la campagne et me laisser mourir de froid. Stupéfaite, elle me repoussa et se mit à aller et venir fiévreusement par la pièce, puis haletante de lassitude, elle laissa tomber ces seuls mots :

— Petit sauvage !

L’arc-en-ciel vivant et palpitant des sentiments qui composent l’amour s’était éteint dans mon âme, remplacé par les lueurs troubles d’une irritation profonde contre les gens et les choses, et qui surgissait avec une fréquence grandissante. J’avais conscience de ma solitude dans ce milieu morbide et