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et j’en ai assez ! Gagne ton pain toi-même.

Grand’mère écouta ces mots dans un calme parfait, comme si elle les eût attendus. Tranquillement, elle sortit sa tabatière, huma sa prise et répondit :

— Comme tu voudras ! S’il en doit être ainsi, ce sera ainsi.

Grand-père loua deux sombres petites chambres dans le sous-sol d’une vieille maison qui s’élevait à la croisée des chemins, au bas de la colline. Quand nous déménageâmes, grand’mère prit une vieille chaussure de tille, à longue frange, qu’elle lança sous le poêle, puis elle s’accroupit pour évoquer le farfadet gardien de la demeure :

— Farfadet de la famille, tiens, voilà un traîneau, viens avec nous dans la maison nouvelle où nous allons chercher plus de bonheur…

Grand-père, qui se trouvait à ce moment dans la cour, passa la tête par la fenêtre et lui cria :

— Je t’en donnerai, moi, des traîneaux, vieille hérétique ! Tu avais bien besoin de me ridiculiser.

— Ah ! père, prends garde, prends bien garde à ce que tu dis ; je crains que cela ne nous porte malheur ! déclara-t-elle gravement.

Mais grand-père se mit en colère et lui interdit de transporter ailleurs le farfadet.

Pendant trois jours, il avait vendu des meubles et diverses choses à des fripiers tartares, débattant les prix comme un beau diable et jurant avec frénésie. Grand’mère, par la fenêtre, considérait ce spectacle, et tantôt elle pleurait, et tantôt elle riait :

— Emportez tout !… Cassez tout !… s’écriait-elle de temps à autre à mi-voix.