Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un accordéon retentit, un rire de femme éclate, un sabre traîne sur les briques du trottoir, un chien jappe : comme tout cela est vain ; ce sont les derniers pétales du jour fané qui s’éparpillent.

Grand’mère était longue à s’endormir ; les mains croisées sous la tête, elle s’animait et, sans se préoccuper d’être écoutée ou non, racontait quelque histoire. Mais elle avait l’art de choisir toujours le conte qui rendait la nuit plus significative et plus belle encore.

Au son de ses phrases cadencées, je m’endormais insensiblement et ne m’éveillais qu’avec les oiseaux. Le soleil me donne en plein dans le visage ; l’air matinal circule et se réchauffe. Les rameaux des pommiers secouent leur rosée, la verdure humide des herbes brille et, dans la légère vapeur qui se lève, elle prend une transparence de cristal. Au ciel couleur de lilas, l’éventail des rayons s’ouvre et le firmament devient bleu. Une alouette invisible jette ses trilles très haut dans le ciel et toutes les nuances, tous les sons, comme une rosée, s’infiltrent dans la poitrine telle une grande joie paisible qui m’inspire le désir de me lever au plus vite, de travailler et de vivre en harmonie avec les êtres qui m’entourent.

Cet été-là fut la période la plus calme et la plus contemplative de ma vie ; ce fut à cette époque que le sentiment de confiance en mes propres forces naquit et s’affermit en moi. J’étais devenu insociable et sauvage ; j’entendais les cris des enfants Ovsiannikof, mais je n’éprouvais aucune envie d’aller jouer avec eux et, quand mes cousins venaient, je n’étais nullement enchanté de leur visite : l’idée qu’ils pourraient