Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme une feuille, car j’avais une peur atroce de grand-père ; Varioucha était angoissée, elle aussi.

» Seulement ton père avait un ennemi, un ouvrier calfat, homme méchant qui avait tout deviné depuis longtemps et qui nous surveillait. Je parai donc ma fille unique des plus belles choses que je possédais, puis je la conduisis jusqu’à la porte cochère ; une troïka attendait au coin de la rue ; elle y monta, Maxime siffla et ils disparurent ! Je rentrais tout en larmes quand, soudain, j’aperçus cet individu qui venait à ma rencontre et qui me déclara, le coquin : « Je suis un brave homme, je ne me mêlerai pas de tes affaires, seulement tu me donneras cinquante roubles pour prix de mon silence. » Je ne possédais pas cette somme ; je n’aimais pas l’argent et je n’en économisais pas. Par bêtise je lui répondis : « Je n’ai point d’argent et je ne t’en donnerai pas ! — Tu peux m’en promettre, me répliqua-t-il. — T’en promettre et où le prendrais-je ? — Est-ce bien difficile de voler ton mari qui est riche ? » J’aurais dû discuter avec lui, ruser, le retenir ; au lieu de cela, je lui crachai au visage et m’en retournai. Mais il courut et me devança dans notre cour où il fit du scandale.

Les yeux fermés, grand’mère ajouta en souriant :

— Maintenant encore, je me rappelle la scène terrible qui éclata. Grand-père rugissait comme un fauve, car ce n’était pas une plaisanterie pour lui que ce mariage ! Que de fois il s’était vanté à propos de Varioucha : « Je la marierai à un noble, à un seigneur ! » Et voilà le noble seigneur qu’elle avait choisi ! La sainte Vierge sait mieux que nous ceux