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— Voyons, maintenant, mon bonhomme, de quoi t’ai-je parlé hier ?

— De mon père.

— Où est-ce que j’en étais ?

Je le lui rappelais et, pendant de longs moments, ses phrases cadencées coulaient comme un ruisseau.

Elle avait commencé, sans que je le lui eusse demandé, à me parler de mon père. Un soir qu’elle n’était pas sous l’empire de l’ivresse, elle me confia, fatiguée et triste :

— J’ai rêvé de ton père : il marchait dans un champ, un bâton de noyer à la main ; il sifflotait et un chien tacheté le suivait la langue pendante. Je le vois bien souvent en rêve, ces temps-ci ; cela tient sans doute à ce que son âme est en peine.

Pendant plusieurs soirées consécutives, elle me raconta son histoire. Mon père était le fils d’un soldat arrivé à l’ancienneté jusqu’au grade d’officier et exilé en Sibérie pour avoir maltraité ses subordonnés. Et c’était en Sibérie, on ne savait où, que mon père était né. Il se nommait Maxime. La vie lui fut dure ; dès sa plus tendre enfance, il chercha à s’enfuir de la maison, et certain jour, dans la forêt, son père lui fit donner la chasse par des chiens, comme à un lièvre. Une autre fois, mon grand-père le battit si fort que les voisins durent lui arracher l’enfant et le cacher en lieu sûr.

— Alors, on bat donc toujours les petits enfants ? m’informai-je, et grand’mère répondit paisiblement :

— Oui, toujours.

La mère de mon père était morte toute jeune ; lorsqu’il atteignit ses neuf ans, ce fut mon grand’père