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portes qui claquaient de plus en plus souvent m’indiquaient que le nombre des visites augmentait également.

Les mélancoliques tempêtes de neige sévissaient : le vent sifflait par le grenier et chantait dans les cheminées ses lugubres mélodies. Les couvercles des poêles rendaient un son fêlé. Le jour, les corbeaux croassaient et, par les nuits calmes, le hurlement désolé des loups m’arrivait de la campagne. Ce fut cette musique-là qui berça mon cœur et l’aguerrit. Puis, avec l’œil rayonnant du soleil de mars, le printemps timide apparut à la fenêtre, craintif et réservé d’abord, mais de jour en jour plus caressant. Sur le toit et par le grenier, les chats amoureux se mirent à miauler, à hurler. Les bruits du printemps filtraient à travers les murs ; aux gouttières, les glaçons de cristal se rompaient ; la neige à demi fondue glissait sur le versant des toitures et la chanson des cloches devint plus sonore qu’en hiver.

Grand’mère allait et venait, mais quand elle me parlait, son haleine, je le remarquais, sentait de plus en plus l’eau-de-vie. Bientôt même, elle en apporta une grande théière blanche qu’elle dissimula sous mon lit, en me disant, l’œil cligné malicieusement :

— Tu ne le diras pas à ce vieux grigou de grand-père, n’est-ce pas, mon petit ange ?

— Pourquoi bois-tu ?

— Peuh ! Quand tu seras grand, tu le sauras…

Elle suçait le bec de la théière, s’essuyait la bouche du revers de la main, souriait d’un air satisfait et disait :