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ments ; n’ayant pas le courage d’aller à la recherche des souliers égarés, il me ramena tout effrayé à la maison.

Mes grands-parents et ma mère parcoururent la ville en fiacre, s’enquérant du fuyard. Ce fut seulement vers le soir qu’on le découvrit près du monastère, au cabaret Tchirkof, où il amusait le public par ses danses. On le ramena à la maison, mais on ne le fouetta pas, car on était troublé par son silence obstiné ; allongé dans la soupente à côté de moi, il levait les jambes, se frottait la plante du pied contre le plafond et murmurait tout bas :

— Ma belle-mère ne m’aime pas, mon père ne m’aime pas, ni grand-père, pourquoi donc resterais-je avec eux ? Je vais demander à grand’mère où demeurent les brigands et je me sauverai chez eux… Et alors, vous verrez… Veux-tu venir avec moi ?

Cela m’était impossible ; à cette époque-là, j’avais décidé que je serais un officier à grande barbe blonde, et dans ce but il me fallait aller à l’école. Lorsque je fis part de ce projet à mon cousin, il réfléchit et finit par m’approuver :

— Oui, c’est très bien. Quand tu seras officier, moi, je serai chef de brigands ; tu seras chargé de m’arrêter et il faudra que l’un de nous deux tue l’autre ou le fasse prisonnier. Moi, je ne te tuerai pas.

— Ni moi non plus.

Et nous nous tînmes à cette résolution.

Grand’mère survint, grimpa sur le poêle, et nous regardant, elle s’écria :

— Eh quoi, souriceaux ? Ah ! petits orphelins ! petits débris ! Petites miettes !