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Il nous écarta d’un geste et se calma en concluant d’un ton irrité :

— Chacun va de son côté, tout le monde se sépare ; on ne cherche plus que son propre intérêt… Va, appelle-la, va vite !

Grand’mère sortit de la cuisine ; il baissa la tête et pria en se tournant vers le coin des icônes :

— Seigneur miséricordieux, Tu vois ce que je fais, Tu le vois !

Et il se frappa la poitrine ; le coup vigoureux résonna, ce qui me déplut. En général, je n’aimais pas sa manière de s’adresser à son Dieu ; il avait toujours l’air de se vanter.

Ma mère arriva et sa robe rouge rendit la cuisine plus claire. Elle prit place sur le banc, près de la table, entre mes grands-parents. Les larges manches de son corsage reposaient sur leurs épaules ; d’une voix grave et contenue, elle leur raconta quelque chose et ils l’écoutèrent en silence, sans l’interrompre. Ils étaient devenus tout petits et on aurait dit qu’elle était leur mère.

Fatigué par l’émotion, je m’endormis profondément dans la soupente.

Le soir, les deux vieillards revêtirent leurs habits du dimanche et se rendirent à vêpres ; grand’mère cligna gaîment de l’œil pour attirer notre attention sur son mari qui avait endossé son uniforme de président de corporation de teinturerie : pantalon à passe-poil et pelisse de civette ; elle dit même à ma mère :

— Regarde donc comme il a bonne façon ! Il est propret comme une chevrette !