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avaient été fouettés eux aussi et qu’ils n’étaient pas plus coupables que moi :

— Il ne faut pas les battre, ce sont de braves enfants, et tu ne dis que des bêtises…

Il me regarda ahuri et furieux, et tout à coup se mit à crier :

— Descends du char !

— Tu es un imbécile ! ripostai-je à mon tour, en sautant à bas de la télègue.

Il se mit à ma poursuite, essayant en vain de m’attraper, et il courait en vociférant d’une voix bizarre :

— Moi, un imbécile ? Moi je dis des bêtises ? Ah ! tu vas voir…

Grand’mère apparut sur le perron de la cuisine ; je me précipitai dans ses jambes. Piotre se répandit en doléances :

— Il me rend la vie dure, le polisson ! Je suis cinq fois plus vieux que lui, et il m’injurie, il ose m’appeler menteur… et me traiter de toutes sortes de choses…

Lorsqu’on disait des mensonges devant moi, je perdais la tête et l’étonnement me rendait stupide ; c’est ce qui m’arriva alors, mais grand’mère répliqua avec fermeté :

— C’est toi, Piotre, qui mens pour l’instant ; il ne t’a pas dit de vilaines injures !

Grand-père, lui, aurait cru le charretier.

À dater de ce jour, Piotre me déclara une guerre silencieuse et acharnée. Il essayait de me pousser, comme par hasard, ou bien de m’atteindre avec les rênes de son attelage. Il lâchait mes oiseaux ; une