Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.

été coupés en morceaux ; il suffisait de les asperger d’eau vive, car, dans ces cas-là, la mort qui n’avait pas été ordonnée par Dieu, mais provenait des sorciers et de leurs maléfices, n’était pas réelle.

Et je me mis à narrer avec ardeur certaines histoires de grand’mère. Au début l’aîné souriait et disait doucement :

— Nous connaissons tout cela ; ce sont des contes…

Ses compagnons écoutaient en silence ; le cadet avait les joues gonflées et les lèvres serrées : l’autre, le coude appuyé sur le genou, se penchait vers moi un bras passé autour du cou de son frère.

Le soir tombait et les nuages rouges planaient au-dessus des toits lorsque surgit près de nous le vieillard à moustache blanche.

— Qui est-ce ? demanda-t-il en me désignant du doigt.

L’aîné se leva et, d’un mouvement du menton, indiqua la maison de grand-père.

— Il vient de là…

— Qui est-ce qui l’a appelé ?

Tous ensemble, les garçonnets se glissèrent hors du traîneau et se dirigèrent vers leur demeure, d’une allure qui me fit de nouveau penser à des canards obéissants…

Le vieillard me prit à l’épaule sans douceur et me mena au portail. J’aurais voulu pleurer tant il me faisait peur ; mais il marchait à si grandes enjambées, qu’avant d’avoir eu le temps d’éclater en sanglots, je me trouvai dans la rue. Sur le seuil, l’homme farouche s’arrêta et, me menaçant du doigt, trancha d’une voix sévère :