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l’auvent, tandis que le cadet courait drôlement autour du puits, ne sachant où aller.

— Un, cria l’aîné, deux…

Le petit, affolé, sauta sur la margelle, saisit la corde et mit les pieds dans le seau vide qui disparut et se heurta avec un bruit sourd contre la paroi du puits.

Une seconde, je restai pétrifié en voyant la roue bien graissée tourner en silence avec une rapidité vertigineuse ; mais je compris aussitôt ce qui allait advenir et je bondis dans la cour voisine en criant :

— Il est tombé dans le puits…

Le deuxième garçon arriva sur le lieu du drame en même temps que moi et s’accrocha à la corde qui le souleva et lui brûla les mains. Je réussis à la saisir à mon tour et l’aîné, qui survint alors, m’aida à remonter le seau.

— Doucement, s’il te plaît… recommandait-il.

Nous eûmes bientôt tiré dehors l’imprudent qui était fort effrayé, lui aussi : le sang coulait des doigts de sa main droite ; sa joue était meurtrie, ses jambes mouillées jusqu’aux genoux. Quoique blême, presque bleu, tout frissonnant, les yeux écarquillés, il trouvait la force de sourire et disait d’une voix traînante :

— Comme je suis tombé…

— Tu as perdu la tête, voilà tout ! déclara le second des frères en l’étreignant, et avec son mouchoir il essuya le visage ensanglanté du cadet ; l’aîné reprit, l’air rembruni :

— Rentrons, il faudra tout de même dire ce qui s’est passé…

— Vous serez fouettés ? m’informai-je.