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Je m’attachai très vite et très profondément à Bonne-Affaire ; nous devînmes inséparables dans la joie comme dans la douleur. Quoique taciturne, il ne m’interdisait pas de parler et, devant lui, je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête, alors que grand-père régulièrement me coupait la parole chaque fois que j’ouvrais la bouche :

— Tais-toi donc, crécelle du diable !

Quant à grand’mère, ses propres impressions occupaient tellement son esprit qu’elle était incapable de prêter la moindre attention à celles d’autrui.

Bonne-Affaire écoutait toujours mon babil avec complaisance ; souvent en souriant il me reprenait :

— Mon frérot, ce n’est pas ainsi, c’est toi qui viens d’inventer cela.

Et ces brèves observations tombaient toujours à propos ; il ne prononçait que les paroles nécessaires, mais il semblait voir comme à travers une vitre tout ce qui se passait dans mon cœur et dans ma tête ; il devinait avant même que je les eusse prononcés les mots inexacts que j’allais dire, les erreurs que j’allais commettre et étouffait avant qu’elle fût née une discussion inutile :

— Frérot, tu radotes !

Souvent, je m’amusais à mettre à l’épreuve cette sorte de pouvoir magique qu’il possédait : j’imaginais n’importe quelle histoire et je la narrais le plus sérieusement du monde comme une chose vue. Après m’avoir écouté un instant, Bonne-Affaire hochait la tête :

— Comme tu déraisonnes, frérot !

— Qu’en sais-tu ?