mes années, mes printemps ont dépassé la sixième dizaine.
Et, humant une prise, elle se met à me narrer des histoires fantastiques de bons brigands, de saints, d’animaux et de forces mauvaises.
Quand elle raconte, elle se penche vers moi d’un air mystérieux, ses pupilles dilatées se fixent sur mes yeux comme pour verser dans mon cœur une force qui doit me soulever. Elle parle à mi-voix comme si elle chantait et ses phrases, au fur et à mesure que s’allonge le récit, prennent une allure de plus en plus cadencée. C’est exquis de l’écouter, et je réclame :
— Encore, grand’mère ! encore !
— «… Il était aussi une fois un vieux petit lutin, assis près du poêle ; comme il s’était fait mal à la patte avec du vermicelle il se dandinait en gémissant : « Oh ! que j’ai mal, petites souris, oh ! je ne puis supporter cette douleur, petits rats ! »
Et, prenant sa jambe dans ses mains, elle la soulevait et la berçait, accompagnant ce geste d’une grimace divertissante, mimant son récit comme si elle eût souffert elle-même réellement.
Des matelots barbus, de braves gens, nous entourent, écoutent, rient, font des compliments à la narratrice et eux aussi demandent :
— Voyons, grand’mère, raconte-nous encore quelque chose.
Ensuite ils proposent :
— Viens donc souper avec nous !
Au cours du repas, ils lui offrent de l’eau-de-vie et à moi des melons et des pastèques ; mais tout cela