— Que de choses nous avons vues ! murmurait tout bas grand-père.
— Avons-nous mal vécu ? disait sa femme. Rappelle-toi le beau printemps qui a suivi la naissance de Varioucha !
— C’était en 1848, en pleine campagne de Hongrie ; le lendemain du baptême, le parrain Tikhon a dû partir pour la guerre…
— Et il n’est jamais revenu ! soupirait grand’mère.
— Non, il n’est jamais revenu ! Et c’est à dater de ce temps que la bénédiction de Dieu s’est étendue sur notre maison comme l’eau sur un désert. Ah ! Varioucha…
— Tais-toi donc, père !
Il se fâchait et fronçait les sourcils.
— Pourquoi me tairais-je ? Nos enfants ont mal tourné, de quelque côté qu’on les regarde. Où donc a été notre force, notre sève ?
Il glapissait et courait dans la pièce comme un chat échaudé, invectivant ses fils et menaçant grand’mère de son petit poing décharné.
— Et tu as toujours soutenu ces voleurs et tu les as gâtés. Oui, toi, sorcière que tu es !
Son émotion et son amertume le faisaient larmoyer ; en arrêt devant le coin où les images saintes brillaient, il frappait à grands coups de poing sa poitrine maigre et sonore en invoquant :
— Seigneur ! Suis-je plus criminel que les autres ? Pourquoi me châties-tu pareillement ?
Il était alors tout tremblant et ses yeux mouillés de larmes luisaient de colère et d’humiliation.
Assise dans l’obscurité, grand’mère se signait sans