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pareilles, on n’en trouve pas souvent, et cela ne s’achète pas au marché. L’excellent homme avait commencé à m’apprendre sa langue, mais ma mère me défendit de poursuivre cette étude et me conduisit même chez le prêtre qui lui ordonna de me fouetter et porta plainte contre mon professeur. À cette époque-là, mon petit, on ne plaisantait pas ; tu ne passeras pas par là, sans doute ; ce sont les autres qui ont supporté pour toi ces épreuves, souviens-t’en !

Le soir tombait. Dans la pénombre, grand-père grandissait étrangement ; ses yeux luisaient comme ceux d’un chat. En général, il s’exprimait avec prudence, d’un ton contenu et pensif ; mais, dès qu’il était question de lui-même, il parlait avec une vivacité et une ardeur pleines de suffisance. Cela m’était antipathique et j’exécrais ses sempiternelles recommandations :

— Souviens-t’en ! Rappelle-toi !

Non, certes, je n’avais nulle envie de me rappeler certaines choses qu’il racontait ; et cependant, quoi que je fisse, elles s’implantaient dans ma mémoire comme des échardes douloureuses. Ses récits n’étaient pas des contes de fées, mais se rapportaient toujours au passé. J’avais remarqué qu’il n’aimait pas les questions, c’est pourquoi je l’interrogeais sans me lasser.

— Qui est-ce qui vaut le mieux du Russe ou du Français ?

— Eh, comment le savoir ? J’ignore tout à fait comment les Français se conduisent chez eux, marmotte-t-il d’un air bourru.

Et il ajoute :