et toute sa physionomie prend un air étriqué et pointu…
— Raconte encore, lui dis-je tout bas.
— Nous en étions donc aux Français, reprend-il en tressaillant. Ce sont aussi des êtres humains, tout comme nous. Parfois, je les entendais interpeller la femme de notre maître : « Madame ! Madame ! » c’est ainsi qu’on appelle les femmes nobles ; mais cette madame-là pouvait s’en venir de la meunerie avec un sac de farine de cent kilos sur son dos. Elle était d’une force incroyable. Jusqu’à ma vingtième année, elle me secouait comme un galopin et pourtant, à vingt ans, je n’étais certes pas un avorton ! Miron, l’ordonnance, aimait beaucoup les chevaux ; il rôdait dans les cours et par gestes demandait la permission de panser les bêtes. D’abord, on eut peur qu’il les estropiât, puisqu’il était un ennemi ; mais quand ils l’eurent vu à l’œuvre, les paysans vinrent eux-mêmes l’appeler : « Viens donc, Miron ! » Il souriait, secouait la tête et obéissait docilement. Il savait très bien soigner les chevaux et les guérissait comme par miracle. Il est resté à Nijni-Novgorod où il s’était établi vétérinaire ; mais il a perdu la raison et les pompiers un certain jour l’ont tellement rossé qu’il en est mort. L’officier est tombé malade au printemps, et, vers la fin de mars, il s’est éteint tout doucement : il était assis dans sa chambre, à la fenêtre ; il réfléchissait et il est mort ainsi. Je l’ai bien regretté ; je l’ai même pleuré, mais en cachette ; il était si affectueux. Souvent il me prenait par l’oreille et me disait des choses que je ne comprenais guère sans doute, mais qui étaient bien agréables à entendre ! Des amitiés