Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

daient des pains chauds. Ma mère ne les laissait pas pénétrer dans la chaumière et leur passait les pains par la fenêtre ; ils s’en emparaient et les enfilaient sous leurs blouses, tout contre la peau. Nous ne comprenions pas comment ils pouvaient résister à cette chaleur ! Beaucoup d’entre eux moururent de froid ; cela se comprend ; ils venaient d’un pays chaud et n’étaient pas habitués à de telles températures. Nous avions chez nous deux de ces malheureux : un officier et son ordonnance qui s’appelait Miron ; on les avait logés dans la chambre à lessive, au fond du jardin. L’officier, grand et mince, n’avait que la peau et les os. Il était vêtu d’un manteau de femme qui lui allait aux genoux. C’était un homme très sympathique, mais qui aimait boire ; comme ma mère fabriquait et vendait de la bière en cachette, il en achetait, et quand il était ivre, il se mettait à chanter. Il apprit un peu le russe ; parfois, il baragouinait : « Votre pays pas blanc ; il est noir, méchant ! » Il parlait mal et pourtant parvenait très bien à se faire comprendre. Ce qu’il disait d’ailleurs est juste, le pays du Nord n’a rien de plaisant ; quand on descend le Volga, il fait plus chaud, on dit même qu’au delà de la Caspienne on ne voit jamais de neige. Cette assertion est fort plausible : nulle part, dans les Évangiles, ni dans les Actes des Apôtres et encore moins dans les Psaumes, il n’est fait mention de la neige et de l’hiver ; et Jésus a vécu dans ces pays-là… Quand nous aurons terminé la lecture des Psaumes, je commencerai l’Évangile avec toi…

Grand-père se tait de nouveau, comme s’il sommeillait, puis il regarde en louchant par la fenêtre,