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tristesse et d’affection y étincelait et je savais qu’alors sa sévérité coutumière s’amollissait. Il tambourinait sur la table, ses ongles teints brillaient et ses sourcils dorés tremblaient.

— Grand-père…

— Quoi ?

— Raconte-moi quelque chose…

— Tu ferais mieux de lire, petit paresseux, bougonnait-il, et, comme s’il venait de se réveiller, il se frottait les yeux. Tu aimes les histoires, et tu n’aimes pas le livre des Psaumes.

Mais je le soupçonnais de préférer, lui aussi, les histoires aux Psaumes qu’il savait presque par cœur, car il avait fait vœu de lire à haute voix chaque soir avant de s’endormir un des vingt chapitres de ce recueil.

Je revenais à la charge et le vieillard, gagné par l’attendrissement, finissait par céder.

— Eh bien, c’est entendu !

Affalé contre le dossier du vieux fauteuil de tapisserie, dans lequel il s’enfonçait toujours davantage, la tête rejetée en arrière en une attitude pensive et les yeux au plafond, il se mettait à parler d’une voix basse de son père et de l’ancien temps. Certain jour, des brigands étaient venus à Balakhan pour piller la maison du marchand Zaitzef ; le père de mon aïeul monta au clocher pour sonner le tocsin ; mais les brigands, s’emparant de lui, le tuèrent à coups de sabre et le précipitèrent en bas.

— Je n’étais alors qu’un tout petit enfant et je n’ai pas été témoin de cet événement, je ne me le rappelle même pas ; mes premiers souvenirs remon-