— Es-tu sorcière ?
— Eh bien, vrai, en voilà une idée ! s’exclama-t-elle en souriant ; puis, elle ajouta aussitôt d’une voix pensive :
» La sorcellerie c’est une science trop difficile pour moi qui ne sais ni lire ni écrire ; ton grand-père, lui, est un homme instruit, mais la Sainte Vierge ne m’a pas donné beaucoup d’intelligence ni de savoir…
Et elle me découvrit un autre fragment de sa vie :
— Moi aussi, j’étais orpheline ; ma mère était une pauvre paysanne estropiée et sans feu ni lieu. Encore jeune fille, s’étant, un jour de frayeur, jetée par la fenêtre, elle s’était cassé les côtes et meurtri l’épaule. Son bras droit, le plus nécessaire, avait dépéri. Et comme ma mère, très habile dentellière, ne rapportait plus rien à ses maîtres, ils lui donnèrent la liberté. « Vis comme tu pourras ! » lui dit-on. Comment vivre quand on n’a plus de bras ! Il ne lui restait qu’à mendier ; mais à cette époque-là, les gens vivaient mieux et étaient meilleurs qu’aujourd’hui. Ah ! les charpentiers de Balakhane et les dentellières, quels cœurs d’or ! Pendant l’automne et l’hiver, nous restions en ville pour demander la charité, ma mère et moi ; mais dès que l’archange Gabriel agitait sa lance et chassait le froid, dès que le printemps étreignait la terre, nous partions au loin, droit devant nous. Nous avons été à Mourome et à Jourevetz et nous avons monté le Volga, ainsi que la tranquille Oka. Il est agréable de courir le monde durant la belle saison : la terre est caressante, l’herbe comme du velours et il y a des fleurs par-