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Notre fenêtre donnait sur la rue ; en se penchant, on pouvait voir chaque soir et chaque dimanche les ivrognes qui sortaient du cabaret, chancelaient, tombaient, puis s’en allaient enfin en hurlant. Parfois, on les jetait à la rue comme des sacs, mais ils revenaient à l’assaut et la porte du cabaret claquait ; le contrepoids grinçait, des altercations éclataient. Tout cela était fort intéressant. Dès le matin, grand-père s’en allait aux ateliers de ses fils pour les aider à s’organiser, et le soir en revenait fatigué, accablé, irrité.

Grand’mère faisait la cuisine, cousait, bêchait le jardin et le potager ; toute la journée elle virait comme une énorme toupie poussée par un invisible fouet. Elle prisait, éternuait avec volupté et disait, essuyant son visage en sueur :

— Salut, braves gens, dès maintenant et à jamais ! Eh ! bien, Alexis, nous voilà enfin tranquilles ! Grâce à Toi, Sainte Vierge !

À mon avis, notre existence n’était guère paisible ; de l’aube à la grande nuit, les locataires ne faisaient qu’aller et venir par la cour et dans la maison ; des voisines entraient à chaque instant ; chacun était pressé, et comme on était toujours en retard, des gémissements s’élevaient de partout : ces gens-là semblaient attendre quelque chose et appelaient grand’mère :

— Akoulina Ivanovna !

Après avoir humé sa prise de tabac et s’être essuyé soigneusement le nez avec son mouchoir à carreaux rouges, souriante, elle répondait à tous avec la même affabilité :