— Je pensais que ce serait terrible… plus terrible qu’à l’église… qu’on célébrerait le culte de la vérité…
— Mère, nous savons où on révère la vérité ! dit Pavel à voix basse, et comme s’il lui eût demandé quelque chose.
— Vous le savez, aussi, petite mère ! ajouta le Petit-Russien.
— La cour !
Tous se précipitèrent à leur place.
Une main appuyée à la table, le président cacha son visage derrière un papier et se mit à lire d’une voix bourdonnante et faible :
« Le tribunal… après en avoir délibéré… »
— C’est la condamnation ! dit Sizov, en prêtant l’oreille.
Le silence se fit. Tout le monde s’était levé, les yeux fixés sur le petit vieillard. Sec et droit, il ressemblait à un bâton sur lequel une main invisible se fût appuyée. Les juges étaient debout aussi ; le syndic du bailliage, la tête penchée sur l’épaule, dirigeait ses yeux au plafond ; le maire croisait les bras sur sa poitrine ; le maréchal de la noblesse se caressait la barbe. Le juge à l’air souffrant, son collègue ventru et le procureur regardaient du côté des prévenus. Derrière les juges, au-dessus de leurs têtes, le tsar apparaissait en uniforme rouge ; un insecte rampait sur son visage blanc et indifférent ; une toile d’araignée tremblait.
« … Sont condamnés à la déportation en Sibérie… »
— La déportation ! dit Sizov en poussant un soupir de soulagement. Enfin, c’est passé, Dieu merci ! On parlait des travaux forcés. Ce n’est pas si terrible, mère, ce n’est rien !
— Je le savais, dit Pélaguée d’une voix basse.
— Tout de même… Maintenant, c’est certain… Va donc savoir, avec ces juges !
Il se tourna vers les condamnés qu’on emmenait déjà, et dit à haute voix :
— Au revoir, Fédia !… Au revoir, vous tous ! Que Dieu vous aide !
La mère fit un signe de tête à Pavel et à ses camarades. Elle aurait voulu pleurer, mais une sorte de honte la retint.