la situation d’un voleur et d’un assassin, vous l’empoisonnez avec de l’eau-de-vie, vous le faites pourrir dans vos prisons… Les guerres internationales, le mensonge, la débauche, l’abrutissement de toute la nation, voilà votre civilisation ! Oui, nous sommes les ennemis de cette civilisation-là !
— Je vous prie… cria le petit vieillard en hochant le menton.
Samoïlov, tout rouge, les yeux étincelants, cria encore plus fort que lui.
— Mais nous aimons et respectons l’autre civilisation, celle dont les créateurs ont été mis en prison ou rendus fous par vous…
— Je vous retire la parole !… Fédia Mazine !
Le petit jeune homme se leva brusquement, comme une alène sortant d’un trou, et s’écria d’une voix saccadée :
— Je… je le jure !… je le sais, vous me condamnerez…
Il suffoqua et pâlit ; on ne voyait plus que les yeux sur son visage ; il ajouta, le bras tendu :
— Parole d’honneur ! Envoyez-moi où vous voudrez, je m’enfuirai ! je reviendrai… je travaillerai toujours à la cause du peuple… pour la liberté du pays… toute ma vie ! Parole d’honneur !…
Sizov poussa un petit cri. Tous les assistants, soulevés par une vague d’excitation, remuaient avec un bruit sourd et étrange. Une femme pleurait ; quelqu’un toussait et suffoquait. Les gendarmes considéraient les prévenus avec un étonnement stupide et jetaient des coups d’œil furieux sur la foule. Les juges se démenèrent, le vieillard cria :
— Goussev Ivan !
— Je ne parlerai pas !
— Goussev Vassili !
— Je ne veux pas parler !
— Boukine Sédor !
Blond et comme décoloré, il se leva lourdement et dit avec lenteur en secouant la tête :
— Vous devriez avoir honte !… Moi qui ne suis qu’un homme ignorant, je comprends pourtant ce que c’est que la justice !