des gens d’une situation élevée ; depuis quelques années, elle n’en voyait plus du tout ; et elle considérait les traits des juges comme quelque chose de tout à fait nouveau, incompréhensible, mais plutôt pitoyable que terrible.
À présent, parlait l’officier au visage jaune qu’elle connaissait bien ; il parlait d’André et de Pavel, traînant les mots avec emphase… En l’écoutant, la mère se disait :
— Tu ne sais pas grand’chose, mon bonhomme !
Elle n’avait plus de pitié ni de crainte au sujet de ceux qui étaient derrière le grillage ; elle n’avait plus peur pour eux ; sa pitié ne voulait pas s’adresser à eux ; mais tous, ils lui inspiraient de l’étonnement et un sentiment d’amour qui lui étreignait doucement le cœur.
Jeunes et robustes, ils étaient assis à l’écart près du mur et ne se mêlaient presque pas à la conversation monotone des témoins et des juges, aux discussions des avocats et du procureur. Parfois, l’un d’eux avait un sourire de mépris et disait quelques mots à ses camarades. Presque tout le temps, André et Pavel parlaient à voix basse avec l’un des défenseurs ; la mère avait vu celui-ci la veille, à la maison, et Nicolas l’avait appelé « camarade ». Mazine, plus animé et remuant que les autres, prêtait l’oreille à leur entretien. De temps à autre Samoïlov chuchotait quelques paroles à Ivan Goussev. La mère regardait, comparait, réfléchissait, sans pouvoir encore se rendre compte de la sensation d’hostilité qui l’envahissait, ni trouver des mots pour l’exprimer…
Sizov la poussa légèrement du coude ; elle se tourna vers lui ; il avait l’air en même temps satisfait et un peu soucieux ; il chuchota :
— Regarde un peu comme ils ont de l’assurance, ces garnements, hein ? De vrais seigneurs, n’est-ce pas ! Et pourtant, on les juge… pour leur apprendre à se mêler de ce qui ne les regarde pas…
La mère se répéta involontairement :
— On les juge…
Dans la salle, les témoins déposaient avec des voix incolores et précipitées ; les juges questionnaient toujours, indifférents et maussades. Le gros juge bâillait, en dissimulant sa bouche sous une main boursouflée ;