quand elle était en liberté, c’est moi qui étais en prison et quand j’étais en liberté, c’est elle qui était en prison. Nous étions dans la même situation que Sachenka et Pavel ! Enfin, on l’a envoyée en Sibérie pour dix ans… terriblement loin ! Je voulais la suivre… Mais nous avons eu honte tous les deux… Et je suis resté… Là-bas, elle a fait la connaissance d’un de mes camarades, un très brave garçon. Ils se sont évadés ensemble… et maintenant, ils vivent à l’étranger…
Nicolas enleva ses lunettes qu’il essuya, puis regarda les verres à la lumière et commença de nouveau à les frotter.
— Ah ! mon cher ami ! dit affectueusement la mère en branlant la tête.
Elle le plaignait et, en même temps, il y avait en lui quelque chose qui obligea Pélaguée à sourire d’un bon sourire maternel. Nicolas changea d’attitude, reprit sa plume, qu’il secouait au rythme de ses paroles, et dit :
— La vie de famille diminue l’énergie du révolutionnaire ; oui, elle la diminue toujours ! Les enfants naissent, l’argent devient rare, il faut travailler pour gagner du pain… Et le vrai révolutionnaire doit développer son énergie sans se lasser, il faut du temps pour cela. Si nous restons en arrière, vaincus par la fatigue ou séduits par la possibilité d’une petite conquête, nous trahissons presque la cause du peuple…
Sa voix était ferme, et, quoique son visage eût pâli, dans ses yeux brillait une énergie égale et soutenue. De nouveau, un violent coup de sonnette retentit, interrompant le discours de Nicolas. C’était Lioudmila, les joues rouges de froid. Tout en enlevant ses caoutchoucs, elle dit d’une voix irritée :
— Le jour du jugement est fixé, ce sera dans une semaine !
— Est-ce certain ? cria Nicolas de sa chambre.
La mère courut à lui, sans savoir si c’était la joie ou la crainte qui la troublait. Lioudmila la suivit et continua de sa voix basse et ironique :
— Oui ! le substitut du procureur Chostak vient de dresser l’acte d’accusation. Au tribunal, on dit ouvertement que le verdict est déjà rendu. Que signifie cela ? Le gouvernement a-t-il donc peur que les fonctionnaires traitent ses ennemis avec douceur ? Après avoir perverti