Elle se redressa et reprit, après un silence :
— Que faut-il faire, maintenant ? Il faut soulever le peuple ! C’est évident ! Tout le monde y pense… mais chacun à part soi… et il faut qu’on en parle à haute voix… il faut qu’il y en ait un qui se décide à le faire…
Elle s’assit et demanda tout d’un coup :
— Vous dites que même de jeunes et riches demoiselles s’occupent de ça, qu’elles vont faire des lectures aux ouvriers… Elles n’ont pas peur, ça ne les dégoûte pas ?
Et, après avoir attentivement écouté la réponse de la mère, elle poussa un profond soupir, puis reprit en baissant les paupières, en dodelinant de la tête :
— J’ai lu une fois dans un livre que la vie n’a pas de sens… Cela, je l’ai compris du coup ! Je sais ce que c’est que cette vie-là : on a des pensées, mais elles sont détachées, elles rôdent, elles rôdent comme des moutons stupides sans berger… elles rôdent… il n’y a rien ni personne qui les rassemble… on ne sait pas ce qu’il faut faire ! Voilà ce que c’est qu’une vie qui n’a pas de sens. Je voudrais m’enfuir loin d’elle, sans même regarder en arrière… on est si malheureux quand on comprend tant soit peu…
La mère voyait cette douleur dans l’éclat des yeux verts de la jeune femme, sur son visage maigre ; elle l’entendait tinter dans sa voix. Elle voulut la consoler, l’apaiser…
— Mais vous, ma chérie, vous comprenez ce qu’il faut faire…
Tatiana l’interrompit doucement :
— Il faut savoir comment faire… Votre lit est prêt… couchez-vous !
Et elle alla vers le poêle, grave et concentrée… Sans se dévêtir, la mère se coucha ; ses os brisés de fatigue la faisaient souffrir ; elle poussa un faible gémissement. Tatiana éteignit la lampe. Lorsque la chaumière se fut remplie de ténèbres, sa voix basse et égale résonna de nouveau :
— Vous ne priez pas… Moi aussi, je crois qu’il n’y a pas de Dieu, ni de miracles. Tout cela a été inventé pour effrayer, parce que nous sommes bêtes…
La mère s’agita avec inquiétude sur sa couche ; par la fenêtre, les ténèbres infinies la regardaient, et dans