je lui ai montré l’autre journal, elle s’est fâchée. — Laissez cela, Pierre, dit-elle… Ce sont des gamins idiots qui le font, et cela ne vous causera que des misères… la prison… et la Sibérie… Voilà ce qui peut vous arriver si vous continuez à lire ces journaux.
Il se tut de nouveau, réfléchit et reprit :
— Dites-moi, mère… l’autre… l’homme, c’est un de vos parents ?
— Non, répondit Pélaguée.
Pierre se mit à rire sans bruit, très satisfait, on ne sait de quoi. Il sembla à la mère qu’il était injuste de traiter Rybine comme un étranger.
— Il n’est pas de ma famille, dit-elle, mais il y a longtemps que je le connais… je le respecte comme mon propre frère…
Elle ne trouvait pas l’expression qu’elle cherchait ; cela lui était douloureux ; elle ne put retenir ses sanglots. Un silence morne remplissait la chaumière, Pierre pencha la tête sur son épaule, on eût dit qu’il écoutait quelque chose. Stépane, accoudé, tambourinait sur la table. Sa femme, adossée au poêle, était dans l’ombre. La mère sentait son regard fixé sur elle ; parfois, elle jetait un coup d’œil sur le visage de Tatiana, rond, basané, au nez droit, au menton coupé à angle aigu et dont les yeux verdâtres avaient une expression vigilante et attentive.
— C’est un ami par conséquent… reprit Pierre. Il est très fort, oui ! Il s’apprécie à une haute valeur… comme il faut le faire… Voilà un homme, n’est-ce pas, Tatiana ?… Tu dis ?…
— Il est marié ? interrompit Tatiana ; et les minces lèvres de sa petite bouche se pincèrent avec force.
— Il est veuf ! répliqua tristement la mère.
— C’est pour cela qu’il a tant de courage ! déclara Tatiana, d’une voix profonde et basse. Un homme marié n’agirait pas ainsi… il aurait peur !…
— Et moi ? je suis marié et pourtant !… s’écria Pierre.
— Assez ! dit la femme sans le regarder et en tordant la bouche. Que fais-tu donc ? Tu parles beaucoup et tu lis de temps en temps un livre… Ce n’est pas parce que tu chuchotes avec Stépane dans les coins que les gens en sont plus heureux.