Elle répliqua en soupirant :
— Ce ne serait pas une grande privation pour Pavel… et à moi aussi, ces visites me fendent le cœur… Il est interdit de parler de quoi que ce soit… j’ai l’air d’une idiote aux yeux de mon fils… on nous épie sans cesse.
Les événements récents l’avaient fatiguée, et maintenant que l’occasion se présentait pour elle de s’éloigner des drames de la ville, elle s’y raccrochait de toute sa force.
Mais Nicolas changea de sujet de conversation :
— À quoi penses-tu ? demanda-t-il au docteur.
Celui-ci répondit d’un ton maussade :
— Nous sommes peu, voilà à quoi je pense… Il faut absolument travailler avec plus d’énergie… il faut décider André et Pavel à s’évader… ils sont tous deux trop précieux pour rester ainsi dans l’inaction…
Nicolas fronça le sourcil et hocha la tête d’un air dubitatif ; il jeta un coup d’œil sur la mère. Elle comprit qu’ils se gênaient de parler de son fils en sa présence et elle se rendit dans la chambre, légèrement irritée contre ceux qui se préoccupaient si peu de ses désirs.
Elle se coucha et, les yeux ouverts et bercée par le chuchotement des voix, se laissa envahir par l’inquiétude. La journée qui venait de s’écouler lui semblait incompréhensible, pleine d’allusions menaçantes ; mais ce genre de réflexions lui était pénible, elle les écarta de son cerveau et se mit à penser à Pavel. Elle aurait voulu le voir en liberté et, en même temps, elle s’effrayait à cette idée ; elle sentait qu’autour d’elle tout s’agitait, que la situation se tendait de plus en plus, que des collisions violentes étaient imminentes. La patience du peuple avait fait place à une expectative énervée ; l’irritation croissait visiblement, des paroles âpres résonnaient ; partout se dégageait un souffle nouveau, un souffle d’excitation… Chaque proclamation était discutée avec animation au marché, dans les boutiques, parmi les domestiques et les artisans ; dans la ville, chaque arrestation réveillait un écho craintif, inconsciemment sympathique parfois ; on en commentait les causes. La mère entendait le plus souvent les gens du peuple prononcer les mots qui l’avaient jadis effrayée : « socialistes, politique, révolte ». On les répétait avec