On lui obéit. Lançant au loin leurs gourdins, les gens s’écartèrent les uns après les autres ; la mère marchait toujours en avant, entraînée par une force invincible. Elle vit Nicolas, le chapeau sur la nuque, repousser les manifestants ivres de colère ; elle l’entendit leur faire des reproches.
— Vous êtes devenus fous !… Mais calmez-vous donc !
Il lui sembla qu’il avait une main toute rouge.
— Allez-vous-en, Nicolas ! cria-t-elle en s’élançant vers lui.
— Où courez-vous ? Vous allez recevoir des coups.
À côté d’elle, la prenant par l’épaule, elle aperçut Sophie, nu-tête, les cheveux épars, soutenant un jeune homme, un enfant presque, qui essuyait de la main son visage tuméfié et chuchotait de ses lèvres tremblantes :
— Laissez-moi… ce n’est rien !
— Occupez-vous de lui… conduisez-le à la maison, chez nous… Voilà un mouchoir… Bandez-lui la figure ! dit vivement Sophie.
Et mettant la main du jeune homme dans celle de la mère, elle s’enfuit avec un dernier conseil :
— Partez vite !… sinon vous serez arrêtés.
Les manifestants sortaient du cimetière par toutes les issues ; derrière eux, les agents de police marchaient pesamment entre les tombes ; s’embarrassant dans les pans de leur capote, ils juraient et brandissaient leurs sabres. Le jeune homme les suivait des yeux.
— Allons vite ! dit doucement la mère, et elle lui essuya le visage…
Il cracha du sang en marmottant :
— Ne vous inquiétez pas… je ne souffre pas… Il m’a frappé avec la poignée de son sabre… sur la figure et sur la tête… Et moi, je lui ai donné avec mon bâton… une fameuse volée… il a hurlé !
— Vite ! disait la mère, se dirigeant rapidement vers un petit guichet pratiqué dans la clôture du cimetière. Il semblait à Pélaguée que deux agents les attendaient derrière le mur, dissimulés dans les champs, et que dès qu’on les apercevrait, son compagnon et elle, ils se précipiteraient sur eux pour les frapper. Mais lorsque, après avoir ouvert la petite porte avec précaution, elle regarda la campagne toute revêtue du gris tissu du