X
La mère passa la journée du lendemain à organiser l’enterrement de Iégor. Le soir, tandis qu’elle prenait le thé avec Nicolas et Sophie, Sachenka survint, étonnamment bruyante et animée… Elle avait les joues rouges, ses yeux étincelaient ; il sembla à la mère que la jeune fille était pleine d’une espérance joyeuse. Cet état d’esprit rayonnant fit une irruption bruyante et tumultueuse dans le mélancolique courant des souvenirs sans s’y mêler ; c’était comme une clarté vive éclatant soudain dans les ténèbres et qui troublait le petit cercle. Nicolas dit en frappant pensivement sur la table :
— Vous êtes toute transformée aujourd’hui, Sachenka !…
— Vraiment ? Peut-être bien ! répondit-elle avec un petit rire heureux.
La mère la regarda avec un muet reproche. Sophie observa en accentuant les mots :
— Nous parlions de Iégor…
— Quel brave homme, n’est-ce pas ? s’écria Sachenka. Je l’ai toujours vu le sourire et la plaisanterie aux lèvres… Il travaillait si bien ! C’était un artiste de la révolution ; il possédait la pensée révolutionnaire, comme un grand maître ! Avec quelle simplicité et quelle force il décrivait l’homme du mensonge, de l’injustice, de la violence !… Je lui dois beaucoup.
Elle parlait à mi-voix, les yeux pleins d’un sourire pensif, qui n’éteignait pas dans son regard le feu d’allégresse si visible et que personne ne comprenait. Il arrive quelquefois qu’on se délecte d’un chagrin, qu’on s’en fait un jouet torturant qui ronge le cœur. Nicolas, Sophie et la mère ne voulaient pas laisser leur tristesse se dissiper ni s’abandonner au sentiment d’allégresse qu’apportait Sachenka ; sans en avoir conscience, ils défendaient leur mélancolique droit de se nourrir de leur douleur, ils essayaient de faire entrer la jeune fille dans le cercle de leurs préoccupations…
— Et voilà qu’il est mort ! insista Sophie en regardant Sachenka avec attention.