acquérir le droit à la vie et à la liberté, des anciens combats des paysans d’Allemagne, des malheurs des Irlandais, des exploits des ouvriers français.
Dans la forêt, revêtue de velours, dans la petite clairière bornée par les arbres muets, sous la voûte du ciel obscur, devant le riant foyer, au milieu d’un cercle d’ombres hostiles et étonnées, ressuscitaient des événements qui avaient bouleversé le monde des repus, des gens follement avides ; les peuples de la terre défilaient les uns après les autres, saignants, épuisés par la lutte ; on célébrait les noms des héros de la liberté et de la vérité…
La voix rauque de la femme résonnait avec douceur comme si elle fût sortie du passé. Elle éveillait des espoirs, inspirait confiance. Les auditeurs écoutaient sans mot dire cette musique, la grande histoire de leurs frères en esprit. Ils regardaient le visage pâle et maigre, ils souriaient pour répondre au sourire des yeux gris. Et une lumière toujours plus vive éclairait pour eux la cause sacrée de l’humanité ; en eux se développait de plus en plus le sentiment de la parenté morale avec leurs frères du monde entier ; un nouveau cœur naissait pour eux en la terre, et ils étaient pleins du désir de tout comprendre, de tout unir en lui…
— Le jour viendra où tous les peuples lèveront la tête et s’écrieront : C’est assez ! nous n’en voulons plus de cette vie ! disait Sophie d’une voix sonore, et alors s’écroulera la puissance factice de ceux qui ne sont forts que de leur avidité, la terre se dérobera sous leurs pas, ils ne sauront plus sur quoi s’appuyer…
— C’est ce qui arrivera ! ajouta Rybine, tête baissée. En ne ménageant pas ses forces, on peut tout vaincre !
La mère écoutait en relevant très haut les sourcils et avec un sourire d’étonnement nerveux. Elle voyait que tout ce qui lui paraissait choquant en Sophie, son audace, son extrême vivacité, avait disparu, comme fondu par le torrent égal et brûlant de ses paroles. Le silence de la nuit, le jeu du feu, le visage de la jeune femme la charmaient ; mais ce qui lui plaisait par-dessus tout, c’était l’attention parfaite des paysans. Ils restaient immobiles, s’efforçant de ne troubler en rien le développement calme du discours ; on eût dit qu’ils craignaient de rompre le fil lumineux qui les réunissait