de ses mains faibles glissaient sur sa poitrine, essayant de boutonner son pardessus.
— C’est malsain pour vous de venir si tard dans la forêt… La forêt est humide et suffocante, observa Sophie.
— Il n’y a plus rien de sain ou de malsain pour moi ! répondit-il en haletant. Seule, la mort me sera la bienvenue.
Il était pénible de l’entendre ; d’ailleurs, toute sa personne excitait la compassion, une compassion qui était impuissante. Il s’accroupit sur un tonneau en ployant les genoux avec précaution, comme s’il eût craint de les voir se casser ; puis il essuya son front couvert de sueur. Ses cheveux étaient secs et morts.
Le bois commençait à flamber dans la clairière ; tout frémit et se balança ; les ombres, léchées par les flammes, s’enfuirent effrayées dans la forêt ; au-dessus du brasier apparut un instant le visage rond d’Ignati qui gonflait ses joues. Le feu s’éteignit. On sentit l’odeur de la fumée ; le silence et les ténèbres tombèrent de nouveau sur la clairière, comme prêtant l’oreille aux paroles rauques du malade.
— Mais je puis encore être utile au peuple… comme témoin d’un grand crime… Regardez-moi, j’ai vingt-huit ans, et je meurs… Il y a dix ans je soulevais sur mes épaules, sans effort, jusqu’à deux cents kilos… Je me disais alors qu’avec une santé pareille, je mettrais soixante-dix ans pour arriver à la tombe, sans trébucher… Et j’en ai vécu dix… et je ne puis aller plus loin…
— La voilà, sa chanson ! dit Rybine d’une voix sourde.
Le feu se ralluma avec plus de force ; les ombres s’enfuirent de nouveau pour rejaillir sur les flammes, tremblèrent autour du brasier en une danse muette et hostile. Le bois mort craquait et gémissait sous la morsure de la flamme. Le feuillage bruissait et chuchotait, agité par une onde d’air chaud. Gaies et vives, les langues de feu pourpres et or jouaient, s’étreignaient, s’élevaient en lançant des étincelles ; une feuille brûlante s’envola ; au ciel, les étoiles souriaient aux étincelles et les attiraient à elles.
— Ce n’est pas ma chanson… il y a des milliers de